Avant de peindre, et d’avoir les mains dans la peinture, je cherche et je manipule des matières textiles. Je ne les choisis pas au hasard, mais pour leurs motifs, leurs factures, leurs formats, leurs contours, leurs déchirures. De retour à l’atelier tout le sol et l’ensemble des murs autour sont rapidement occupés et cernent un territoire aux multiples parties: les grandes piscines, les petits formats parsemés ici et là, les chutes de peintures, les miettes de paillettes et d’acryliques au sol, les dessins préparatoires sur les bâches, les peintures aux murs qui s’étalent à terre. La bâche de protection au sol fait aussi bien office de mur à plat, que d’une palette géante sur laquelle j’esquisse les figures et mélange les couleurs.
Jusqu’à voir un visage dans la tâche, un paysage.
J’observe les états de la matière, l’opaque, la brillante, la mate, à la liquide, comment la substance s’imprègne et s’évapore, ou dessine une empreinte avec laquelle jouer, à ne plus savoir où est le recto du verso. La peinture devient une peau manipulable et je passe de l’une à l’autre comme s’il y avait un dialogue entre elles. La maladresse est un partenaire de travail qui révèle ou détruit parfois, alors je découpe, recadre, supprime une forme d’excès dans laquelle la pensée reste à la portée du geste. Imprégnée par une iconographie cinématographique et picturale, l’évocation du paysage est souvent romantique, et les figures en situation d’absorption1. Les titres confirment une forme de filiation sentimentale à la peinture, dans laquelle je tente de révéler dans l’ombre d’un trait une présence humaine voir symbolique, l’indice d’une figure, une bouche, une main.
Je cherche également à permuter dans l’exposition les mêmes rebondissements que ceux de l’atelier et à établir une relation directe avec les dimensions et les volumes du lieu d’accueil. Il ne s’agit pas seulement de faire des tableaux mais de peindre comme une expérience physique et sensorielle de la couleur dans l’espace, jusqu’à voir les reflets et le bruit d’un rose sur un mur blanc.
- Michael Fried, La place du spectateur - Esthétique et ouvrage de la peinture moderne, 1990